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arabes. Car, s’ils racontent que Mouça fut fouetté par ordre de Soulymân, ils ne disent point qu’à ce supplice on ait ajouté celui d’une promenade humiliante à travers la ville ; et aucun d’eux n’autorisait le poète à faire décapiter le vieillard, qui en réaliré se retira au fond de l’Arabie. Mais il a pensé sans doute qu’on lui pardonnerait, — si on la remarquait, — cette entorse à l’histoire de Mouça pour les services qu’elle lui rendait.

Elle lui a permis, en effet, d’abord de résumer la conquête de l’Espagne, par un artifice ingénieux et dramatique qui rappelle le Jugement de Komor. Quand Tiphaine est invitée à prier avant de recevoir la mort, elle revoit toute la suite de l’aventure qui l’a amenée devant le bloc funèbre, et très naturellement ’le poète nous raconte alors les antécédents de l’action. Aussitôt que Mouça a commencé sa lugubre promenade, son esprit s’envole bien loin de la multitude qui hurle à son passage, des pierres qui meurtrissent sa face, du fouet qui coupe ses reins. Il revoit toute sa jeunesse, toute sa vie, et, en nous disant le rêve de son héros, le poète, très naturellement, nous raconte la conquête de l’Espagne : le détroit franchi sur des barques et le noble étalon du guerrier sautant parmi l’écume pour fouler au plus vite le sol des vieux Ibères ; les assauts furieux des hautes citadelles ; les mêlées où, debout sur le large étrier, il buvait l’ivresse du combat ;


Et les bandes des Goths aux lourdes tresses rousses
Fuyant, la lance aux reins, par les vais et les monts,
Et les noirs cavaliers du Maghreb à leurs trousses
Bondissant et hurlant comme un vol de démons !