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Comme le Dragon du Karn, l’Avank est un monstre emprunté à la mythologie des anciens Bretons ; on en peut dire autant de la grotte ou dolmen qui lui sert de retraite, et du pilier de pierre ou menhir qui lui permet de voir sans être vu. Son histoire occupe une place importante dans un conte bardique fort ancien dont les Triades offrent le résumé.

Hu-Gadarn avait bâti sa demeure au bord d’un lac immense appelé le Lac des Lacs, qui menaçait toujours d’engloutir la terre, malgré les fortes digues qu’on lui opposait ; mais l’Avank ennemi les perça, et l’univers fut submergé. Cependant tous les hommes ne périrent pas : un sage nommé Névez-naf-Neivion avait préparé à l’avance un vaisseau où il se sauva avec un mâle et une femelle de toutes les créatures vivantes ; et, quand les eaux se furent écoulées, Hu, pour prévenir un nouveau malheur, fit traîner l’Avank hors du lac par ses bœufs Ninio et Pibio à la tête puissante[1].


Voici, dans la traduction de Fauriel[2], les Triades auxquelles La Villemarqué fait allusion. On remarquera qu’elles transportent le déluge dans le cercle particulier de l’histoire de la Grande-Bretagne après le passage des Kimris d’Asie en Europe, tandis que Leconte de Lisle le recule dans un lointain passé :


  1. Leconte de Lisle parle du dolmenn de l’Avank ; il emploie l’expression le Lac des Lacs ; il place la demeure d’Hu-Gadarn près du lac : ces détails prouvent qu’il a connu la note de La Villemarqué. Il a, d’autre part, connu les Triades, puisqu’il s’est servi de l’expression les Grandes Eaux. — Il a imaginé lui-même plus d’un détail, par exemple le portrait de ce dragon mystérieux qui engloutit le monde et qui rappelle de fort près le serpent Cèsa des Indiens (mythe de Visnou) ; ce serpent Cèsa a sept têtes, comme l’Avank de Leconte de Lisle.
  2. Article, cité plus haut, des Archives philosophiques… 1818. Voir une autre traduction des Triades dans l’ouvrage de Loth, les Mabinogion, t. II, p. 280 et 299.