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rut subitement. Le voyageur Tavernier, qui l’appelle Bégum-Saheb et qui la vit passer sur son éléphant au moment où elle quittait Agra avec la cour, croit, — et il ajoute que tout le monde en est persuadé comme lui, — qu’elle fut empoisonnée pour avoir trop aimé son père.


Leconte de Lisle, qui a un peu chargé la mémoire de Nurmahal, a, au contraire, un peu embelli la figure de l’Antigone mongole. Il la fait mourir de la tristesse d’avoir perdu son père : mais peut-être avait-il le droit de faire cette hypothèse, la seule chose certaine dans cette mort étant, après tout, qu’elle suivît de près celle du vieillard. Il prête à son héroïne, sans qu’aucun document précis l’y autorise, mais avec vraisemblance, cette pitié pour le pauvre et le délaissé, cette soif de guérir les maux du monde, dont nous savons que des princesses indiennes ont donné réellement l’exemple. Ce n’est pas après la mort de leur père qu’il place son entrevue avec Aurang, quand, son devoir accompli jusqu’au bout, et ayant bien alors le droit de songer à elle-même, elle acheta sa vie par le présent des pierreries impériales ; il transporte leur entretien après la dépossession du vieil empereur et donne à Djihan-Arâ une attitude tout autrement fière : mais ne pouvait-il pas supposer sans invraisemblance que le frère voulut voir sa sœur à ce moment et qu’elle lui reprocha sévèrement sa conduite ? Rien n’empêchait donc que le personnage fût, comme il l’a été, un peu idéalisé.

Il s’oppose ainsi, par un contraste fort dramatique, à celui que Leconte de Lisle appelle « l’ascétique assassin »