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et l’heure de l’enclos, lui qui dit adieu à la lumière et donne le signal de la retraite. Les chefs du troupeau ne peuvent être les bergers noirs. Pendant que les bêtes paissent, ils demeurent inertes : en eux, rien n’est mobile que la fumée de leurs pipes ; de leurs figures, rien d’autre ne vaut d’être noté que les mâchoires ; ils sont abêtis :


Deux nègres d’Antongil[1], maigres, les reins courbés,
Les coudes aux genoux, les paumes aux mâchoires,
Dans l’abaissement d’un long rêve absorbés,
Assis sur les jarets fument leurs pipes noires.


Et voilà ce qu’ont fait de ces hommes l’exil et l’esclavage !

À l’image de l’île natale devait s’associer facilement chez Leconte de Lisle celle de la mer qui l’y ramenait ou qui l’emportait loin d’elle. Mais, tandis que dans sa mémoire l’île demeurait un paradis lumineux et embaumé, le souvenir des traversées lui rappelait surtout d’interminables ennuis et des spectacles monotones. Parmi les paysages les plus barbares qu’il eût recueillis, il classait certainement ces paysages marins sans caractère, où il ne voyait rien, parce que rien ne s’offrait qui arrêtât les yeux :


La mer est grise, calme, immense,
L’œil vainement en fait le tour.

  1. Baie, au N-E. de Madagascar.