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Aussi, comme la Ravine est plus qu’un paysage particulier, le Manchy est plus qu’une femme particulière vue en un certain jour de la semaine : c’est, dans le décor de leur vie, les costumes, les mœurs, le caractère des habitants d’un pays.

Après avoir lu ces pièces, Flaubert ne pouvait plus dire : « la faculté de faire voir lui manque. » Il dut admirer, au contraire, que l’exotisme y fût traité avec tant d’art. Car chez l’auteur de la Ravine et du Manchy, comme chez l’auteur de Salammbô, les choses d’un pays sont associées harmonieusement à celles de tous les pays. Association fort diverse. Des strophes sont tout exotiques :


Sur les rebords saillants où le cactus éclate
Errant des vétivers aux aloèsfleuris,
Le cardinal vêtu de sa plume écarlate
En leurs nids cotonneux trouble les colibris.


Mais il en est qui ne le sont point. Telle ne l’est que par un mot qui fixe en un lieu précis un spectacle de tous les lieux :


Sous les réduits de mousse où les cailles replètes
De la chaude savane évitent les ardeurs,
Glissant sur le velours de leurs pattes discrètes,
L’œil mi-clos de désir, rampent les chats rôdeurs.


Dans ces pièces, par conséquent, le particulier n’exclut pas le général, et à travers l’île Bourbon on ne cesse pas d’entrevoir la nature entière.