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Lisle ne semble pas s’attacher d’abord à peindre ce que la flore et la faune de son pays ont de particulier. Il réagit contre le romantisme par la recherche du général plutôt que par celle d’un exotisme moins artificiel.

Mais après les Poèmes Antiques il n’en est plus ainsi.

Le Manchy, le Bernica, la Ravine Saint-Gilles : voilà des noms particuliers. Manchy est un mot local qui désigne un objet utilisé à Madagascar et dans les îles voisines. La ravine Saint-Gilles et le Bernica sent des lieux déterminés. L’exotisme des pièces commence donc avec les titres.

Et il est abondant.

Dès la première strophe de la Ravine et dès le premier vers nous sommes sous les bambous grêles. À la troisième strophe, nous voyons la liane suspendre ses cloches roses ; à la quatrième, le cactus éclater près des vétivers, les aloès fleurir, le cardinal écarlate troubler les colibris. À la cinquième, surviennent les vertes perruches ; à la sixième, des bœufs, mais qui sont de Tamatave ; à la septième, une sauterelle, mais qui est rose ; à la neuvième, la caille et le chat s’agitent dans la savane. Et voici, pour garder les bœufs, un homme qui n’est de chez nous, ni par sa couleur, ni par son costume, ni par sa chanson, ni par son rêve :


Et quelque Noir, assis sur un quartier de lave,
Gardien des bœufs épars paissant l’herbage amer,
Un haillon rouge aux reins fredonne un air saklave
Et songe à la grande Île en regardant la mer.