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La blessure en 1855 n’était plus sans doute toute récente. Dans un des Poèmes Antiques de 1852, qui devait plus tard être transporté dans les Poèmes Barbares, la Vipère, c’était, je pense, à la traîtresse qu’il songeait quand il s’imposait cette alternative :


Arrache de ton sein la mortelle vipère,
Ou tais-toi, lâche, et meurs, meurs d’avoir trop aimé !


Ni il ne put arracher le venin, ni il ne mourut, devenu un des damnés de l’Amour.

Ce sont ceux qui « sachant aimer n’en ont point su mourir ». Le vieil Amour les chasse à travers l’étendue infinie, les flagellant encore de désirs furieux.

Il ne se trompait point quand il affirmait en 1855, dans le Vent froid de la nuit, que la plaie ne se fermerait jamais :


Tais-toi. Le ciel est sourd, la terre te dédaigne.
À quoi bon tant de pleurs si tu ne peux guérir ?[1]


Onze ans plus tard, il pouvait dire (Les Spectres) :


Ces magnétiques yeux, plus aigus que des lames,
Me blessent fibre à fibre et filtrent dans ma chair[2].


Plus tard encore en 1871, dans le Dernier Souvenir, il avouait que l’horrible plaie, faite si longtemps auparavant, saignait toujours ;

  1. Poèmes et Poésies, 1855.
  2. Parnasse, 1866.