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semble adopter le dieu d’aujourd’hui et émigré seulement après lui avoir cédé le droit d’écrire la dernière runa, chez Leconte de Lisle les deux dieux s’affrontent hostilement.

L’enfant dit sa doctrine. Elle est celle qu’à cette date de 1854 on peut attendre que Leconte de Lisle attribue au christianisme. Éclose dans un monde trop vieux et conçue par des gens épuisés, la religion apportée d’Orient par le fils de la Vierge vient pour combattre les aspirations de la nature et de la raison ; les liens des cœurs seront rompus ; la vierge maudira sa beauté ; l’homme reniera sa virilité ; les sages, honteux d’avoir pensé, jetteront leurs écrits au feu ; et l’oubli sera versé sur les anciens dieux. Le Roi du Nord est donc, lui aussi, voué à la mort. Il n’a qu’à partir.

Mais le Runoïa ne s’en va pas sans avoir crié à son successeur : — Tu mourras comme moi ; car l’homme survivra et après vingt siècles de supplices, il secouera ton joug, rira de tes temples, blasphémera tous les dieux.

Ainsi, Leconte de Lisle estime que dans ce pays réputé barbare une plus véritable barbaiie commença après la disparition de la religion ancienne et il croit pouvoir prédire l’effondrement de la nouvelle. Mais, pour établir sa thèse, il a beaucoup modifié la légende qu’il raconte, et il exprime donc bien plus sa pensée personnelle que l’esprit de ta poésie dont il s’inspire.