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du taureau qui beugle. Ce spectacle, il est vrai, n’est pas réel ; il n’est qu’un rêve, et dès lors l’horreur en est pour nous atténuée.

Mais quelle lamentable histoire que celle de ce rêve ! Dans un décor hostile, peuplé d’arbres noirs, habité par des animaux farouches, le tueur de bœufs revient « sinistre et fatigué ». S’il a dévoré quelque proie, ce qui n’est pas sûr, elle l’a emporté auparavant très loin, à des lieues d’ici. Qu’il ait mangé ou non, il laisse pendre son mufle, alourdi par la soif après la traversée de l’immense prairie brûlante ; et le voici qui s’affaisse sur un rocher, allongeant son corps, clignant ses yeux. Alors, il revoit en rêve ce moment où il déchire sa proie. Ce moment, l’a-t-il connu aujourd’hui ? On ne sait. Probablement non. Car le poème nous suggère que si la chasse du fauve est toujours très pénible, elle peut être infructueuse. Il est des jours, celui-ci en est un sans doute, où le jaguar ne mange qu’en rêve.

Le poème des Hurleurs, publié le même jour (15 février 1855) et dans la même revue (Deux-Mondes) que celui de la Jungle, n’est pas qu’un poème de la faim.

Il est cela aussi.

Le poète avait vu ces hurleurs du navire qui le trans-