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humaine n’hésitent pas à reconnaître en eux les souverains du pays et à les honorer de titres princiers ; ils les appellent : le roi rayé, la reine de Java, le roi du Sennaar, le prince du ciel mongol,

La beauté de leurs corps et la magnificence de leurs vêtements achèvent de leur attirer la sympathie de Leconte de Lisle. En même temps qu’il a pitié des souffrances, il admire le jeu des muscles et la richesse des robes chez ces puissants, auxquels leur royauté n’accorde pourtant pas le privilège d’être sûrs de manger chaque jour.

Il est donc bien éloigné de partager le mépris et l’aversion qu’affichera bientôt contre eux l’auteur de l’Oiseau (1856). Celui-ci annoncera dans sa préface qu’il va détrôner l’aigle et introniser le rossignol. Il honnira les espèces meurtrières, sans songer assez que toutes les espèces font des meurtres. Il jugera les rapaces laids et sots. Il dira que la tête des petits oiseaux a un visage et que celle de l’aigle n’est qu’un bec. Leconte de Lisle, avant d’avoir lu l’Oiseau, sait bien que la sensibilité romantique étend aux petits oiseaux la pitié qu’elle a pour tous les humbles, et qu’elle hait, avec toutes les autres royautés, celle des grands carnassiers. Il réagit contre ces préjugés. En attendant le jour prochain (1858) où il admirera le magnifique envol du Condor et fera, à ce qu’il semble, du « vaste oiseau » le symbole du sage auquel la mort même ne fait pas replier ses ailes, il nous apitoie sur le tigre : réputé pour être le plus sanguinaire des