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LES POÈMES BARBARES

n’est donc pas sans doute postérieur, il est plutôt antérieur au Runoïa, qui paraîtra auparavant.

La Jungle inaugure la série des grands poèmes animaliers de Leconte de Lisle. Elle inaugure du même coup la série des poèmes où il justifie les meurtres qu’inspire la faim sacrée, sacra fames.

M. Flottes a bien vu l’origine personnelle de ces poèmes douloureux[1]. Le moment où le poète les écrit est celui où logé sur la cour au quatrième étage d’une maison de la rue Cassette, sans patrimoine, sans autres ressources que les honoraires d’une correspondance à l’île Bourbon, auxquels s’ajoutent la somme dérisoire fournie par la vente des Poèmes Antiques, le montant d’un prix de l’Académie et le produit de quelques leçons, il est obligé de solliciter des secours contre la faim[2]. Mais il n’est pas un de ces montreurs, qu’il flétrira dans le poème célèbre publié le 30 juin 1862 ; il n’étalera pas ses misères ; il n’en fera pas le sujet de sa poésie ; il ne dira les douleurs de sa faim qu’en les montrant chez des affamés qui ne sont ni de son espèce, ni de son pays.

La nécessité d’être astreint pour vivre à la recherche laborieuse de la nourriture quotidienne apparaîtra d’autant plus dure qu’on y verra assujétis les êtres les plus vigoureux qui soient, les mieux armés pour la chasse. Ils sont même si bien désignés pour la domination que leurs compatriotes de l’espèce

  1. Pierre Flottes, p. 86.
  2. Voir Calmettes, p. 3 ; Estève, p. 150.