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Lisle se représente une Vision qui mettra fin à toutes les autres : la terre mourant de froid ; la neige étreignant, linceul rigide, les océans gelés ; plus de villes, plus de bruits, plus de mers ; plus de vertus, d’espérances, de remords ; plus d’amour ; le soleil qui se meurt regardant tout et ne voyant rien ; puis, l’engloutissement progressif des étoiles ; enfin, plus rien que la nuit aveugle, l’abîme où gît la vanité de tout ce qui fut l’espace, le temps, le nombre[1].

Le poète reprendra douze ans plus tard dans Paysage Polaire ce spectacle de la terre refroidie[2]. Ce sera pour dresser sur un sol de neige, sous un ciel rugueux où ne passent plus que les rires et les sanglots du vent, les maîtres de ce monde glacé : les grands ours, « ivres et monstrueux, bavant de volupté ».

Quelques années plus tôt[3], il avait imposé silence à la voix sinistre des vivants et annoncé la dissolution du siècle (Solvet seclum) par une autre hypothèse : la rencontre d’un univers venant défoncer la vieille et misérable écorce de cette terre et en faisant jaillir la flamme intérieure pour qu’elle aille fertiliser de ses restes immondes « les sillons de l’espace où fermentent les mondes »[4]. — C’est sur ce spectacle qu’en 1871 le poète, classant ses pièces, arrête les derniers regards de son lecteur, comme si en 1866 il n’avait pas imaginé

  1. Dernière Vision, dans le Parnasse de 1866.
  2. Poèmes Barbares, édition de 1878.
  3. Revue Européenne, 1er mai 1866.
  4. Sur la connaissance que Leconte de Lisle a des hypothèses de la science, voir Fusil, La poésie scientifique, 1918.