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Et il me semble bien que, soit quand il tient son héros immobile dans la première partie du poème, soit quand il lui fait déployer ses ailes dans la dernière, le poète a eu sous les yeux les deux condors représentés dans la planche de l’Univers pittoresque[1].

D’autre part, dans ce poème, tout à fait contemporain du Manchy et de la Ravine Saint-Gilles, Leconte de Lisle a transporté des souvenirs de l’île natale. Ces sommets creusés en entonnoir au-dessus desquels le condor s’élève, le poète les voyait surgir derrière la maison de sa famille. La nuit, que son héros voit rouler de l’Est, endormir le Chili, envahir la mer Pacifique et l’horizon divin, combien de fois lui-même l’avait vu rouler de l’Est aussi, endormir l’île Bourbon, envahir la mer Occidentale et l’horizon ! S’il y a tant de précision dans son tableau, c’est donc que les éléments ont été pris directement à la réalité. L’imagination n’a eu qu’à agrandir le spectacle pour le rendre digne et des Andes et du roi des Montagnes[2].

Ce Condor, qu’est-il, cependant ? Assurément, c’est un poète romantique :


Lui, comme un spectre, seul, au front du pic altier,
Baigné d’une lueur qui saigne sur la neige…

  1. Six Poèmes Barbares illustrés de douze eaux-fortes, dont six hors texte, gravées par Maurice de Becque, 1925, chez Maurice de Becque.
  2. Voir Maillard, Notes sur l’Île de la Réunion, Dentu, 1862 ; — Jean Dornis, Le Centenaire de Leconte de Lisle (1918) dans Hommes d’action et de rêve, Crès, 1920.