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batailles dans le Combat homérique et le Massacre de Mona ; peintre de la vie animale en tant de poèmes ; peintre de l’aurore, du crépuscule, des clairs de lune ; peintre des tropiques et des pays de brume ; peintre pourvu au plus haut degré du don de l’évocation, parce qu’il sait montrer à la fois la forme et le mouvement, et pendant qu’il s’adresse à l’œil intéresser en même temps l’odorat et l’ouïe[1]. Faut-il, entre tant d’autres, rappeler ce tableau célèbre où, sous les treillis d’or de la vérandah close, le tintement de l’eau, le roucoulement des ramiers, le sifflement de l’oiseau grêle enchantent l’oreille de la sultane, pendant que l’odeur des jasmins flatte sa narine, que l’ombre du hûka caresse ses lèvres et que son œil suit la montée de la vapeur ?

Ce peintre utilise avec sûreté et discrétion les ressources créées jusqu’à lui par les maîtres de l’art descriptif, mais que les romantiques ont parfois discréditées en les gaspillant[2]. Lui sait, comme un autre, opposer nettement les contraires : la noirceur de la panthère au rouge du sang et au rose de la nuée, l’ondulation du bel animal à la rigidité des troncs. Mais il sait aussi suggérer simplement les contrastes au lieu de les accuser, comme lorsqu’il sous-entend que si le sable est rouge la mer est bleue, que s’il est muet elle parle, que s’il est affaissé elle se meut, que s’il est flamme elle est eau :

  1. Voir Dornis, p. 45.
  2. Sur l’art de Leconte de Lisle voir les études de Souriau, de Martino, d’Estève, de Flottes.