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un chœur de héros barbares ! Le poème n’en a pas moins un sens profond. Dans la version finnoise, le Runoïa n’était qu’un consolateur banal. Dans la version française, la faculté attribuée à la poésie, c’est de susciter l’illusion de croire qu’on peut être ce que pourtant on n’est point.

Cette illusion, Leconte de Lisle se la donne à lui-même, lorsqu’il raconte les histoires de ceux qui ayant su aimer ont su en mourir : Christine, Tiphaine, Komor, Néférou-Ra, Brunbild ; car en racontant ces histoires, qui auraient dû être la sienne, mais n’ont pas pu l’être, il entre dans les sentiments de ses personnages, s’identifie avec eux, croit qu’il est prêt à faire ce qu’ils font, croit peut-être qu’il le fait.

Cette illusion, il se la donne lorsque son imagination le transporte avec tant d’efficacité dans les décors où vivent ses héros qu’il les décrit et jouit de leur beauté comme s’il les avait devant les yeux. Et cette beauté est souvent magnifique. Car les scènes barbares qu’il raconte ont cet attrait pour un peintre de se dérouler dans des cadres extrêmement pittoresques, cadres naturels, cadres historiques. Et Leconte de Lisle est peintre : peintre de paysages dans la Panthère, les Éléphants, le Jaguar, la Forêt Vierge, le Bernica ; peintre d’intérieurs dans la Tête du Comte et la Vérandah ; peintre de la rue dans Nurmahal ; peintre de