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Tant que la flamme du soleil enveloppait le monde, Ékhidna restait tapie dans une caverne sombre. Dès qu’il se baignait dans les flots profonds, elle s’avançait, dérobant sa croupe ; son visage luisait, ses lèvres riaient ; elle chantait, et les hommes accouraient sous le fouet du désir. — Ma joue a l’éclat des pommes, des lueurs nagent dans mes cheveux. Heureux qui j’aimerai ; plus heureux qui m’aime. Il sera un Dieu, que j’inonderai de voluptés.

Elle chantait ainsi, cachant le seuil étroit de son antre ensanglanté. Les hommes lui criaient : — Je t’aime ! Je veux être un Dieu ! — Mais nul ne dira leur nombre.


Le monstre aux yeux charmants dévorait leur chair crue,
Et le temps polissait leurs os dans l’antre creux.


Qui est ce monstre ? Le poète en 1862 expliquait qu’Ékhidna vit encore, et que l’amour lui mène toujours sa proie[1] :


Les siècles n’ont changé ni la folie humaine,
Ni l’antique Ékhidna, ce reptile à l’œil noir ;
Et malgré tant de pleurs et tant de désespoir,
Sa proie est éternelle et l’amour la lui mène.


En 1872, le poète a cru devoir supprimer le commentaire. Avec raison, je pense. Car qui ne voit qu’Ékhidha personnifie l’éternelle folie des rêves et

  1. C’est ce qu’a signalé M. Lestel, R. H. L. F., 1925, p. 134.