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un personnage dont le réquisitoire contre Dieu a précédé de trois ans seulement dans le Parnasse celui de Qaïn ; et ce héros, c’est encore le Satan cher au romantisme, mais présenté cette fois par Leconte de Lisle sous son nom populaire ; le Diable[1].

Il s’en faut pourtant que le discours de Qaïn soit une simple réplique de discours déjà entendus. Il est, au contraire, très personnel.

L’auteur a voulu, me semble-t-il, y condenser, de ses origines jusqu’à son terme prochain, toute l’histoire — telle qu’il la voit — de la croyance en Ihaveh, au dieu unique, au dieu Providence. Vivant sur une terre hostile, assistant à des convulsions inouïes qui enflammaient les nues et déracinaient les chênes, voyant leurs femmes enfanter dans la douleur et déposer leurs fruits sur la ronce, poussés à verser le sang par la violence de leur nature pourtant affectueuse, souffrant d’être voués à la mort et de se sentir faits pour l’immortalité, voués à la douleur et de se sentir faits pour le bonheur, les premiers hommes ont cherché des explications. Alors, ils ont imaginé l’Éden primitif, une faute commise envers un Dieu qui a créé des lois et infligé des châtiments. Mais dès les temps les plus anciens, il y eut des incrédules. Leur race s’est perpétuée. Maintenu jusqu’ici par la violence, l’empire de Dieu touche à sa fin.

Il y a dans cette histoire de l’idée religieuse des

  1. La Tristesse du Diable, dans Le Parnasse de 1866.