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de poèmes où avait été tentée avant celui-ci la reconstitution de cette nature primitive : la Chute d’un Ange, l’épisode final des Malheureux, le Sacre de la Femme, les Fossiles de Bouilhet. Il retrouve aussi dans le ciel qui se déploie sur la ville d’airain des conflits de nuées et des jeux de lumière, contemplés jadis par Leconte de Lisle dans le ciel tropical de son île natale. Issu de ces sources diverses, le paysage où vivent les Forts est digne de leur servir de cadre : c’est une nature gigantesque, mystérieuse, fantastique, faite de lumière, de vent, de cris, d’odeurs, unissant dans le même lieu la mer, la haute montagne, le désert.

Au milieu de ce décor grandiose, Thagorma voit se dresser une ville aux murs de fer et s’y engouffrer une troupe de géants. Ce sont les Forts, princes des anciens jours. Leconte de Lisle, qui les connaissait par la Genèse, les avait retrouvés dans la Chute d’un Ange et, comme l’a découvert M. Bernès[1], dans un roman de Ludovic de Cailleux, le Monde antédiluvien, analysé par la Phalange en 1845. Mais bien différents sont les tableaux du Monde antédiluvien et de Qaïn. Chez Ludovic de Cailleux, ce sont des scènes purement pastorales : réunion et rentrée des troupeaux, sortie des femmes allant aux puits. Chez Leconte de Lisle, c’est toute une population qui rentre le soir dans la ville farouche : les hommes ayant sur les

  1. Revue d’Histoire littéraire de la France, juillet 1911 : le Qaïn de Leconte de Lisle et ses origines littéraires.