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contre les Albigeois avec des pouvoirs extraordinaires. On voit sans peine ce que l’histoire telle qu’il la raconte doit à son art de construire un décor, à son goût des dénouements tragiques, à l’âpreté de son ironie[1]. Mais la condamnation qu’il prononce contre son héros, Henri Martin l’avait prononcée avant lui contre l’animateur des massacres de Béziers quand le personnage était entré dans son récit :


C’était un de ces fléaux de Dieu que la Providence envoie dans les jours de colère ; il justifiait à ses propres yeux sa féroce ambition par la sincérité de son fanatisme ; cet homme avait sous sa robe de moine le génie destructeur de Gensérik et d’Attila.


Avant le poète l’historien, citant un chroniqueur, avait rapporté l’ordre cruel :


« Là (à Béziers) eut lieu le plus grand massacre que jamais on eût fait dans tout le monde ; car on n’épargna ni vieux, ni jeunes, pas même les enfants qui tétaient. » Les vainqueurs avaient demandé à l’abbé de Citeaux comment ils distingueraient les hérétiques des fidèles : « Tuez-les tous, répondit Arnaud Amauri ; tuez-les tous ! Dieu reconnaîtra les siens[2]. »


C’est vraisemblablement dans Henri Martin que le poète a pris son sujet. L’Histoire de France venait, en 1859 d’obtenir de l’Académie française le prix Gobert. Peu auparavant, le premier volume de la

  1. Arnaud Amauri mourut archevêque de Narbonne en 1225.
  2. Ce mot n’est pas dans le récit fait par la Chanson de la Croisade contre les Albigeois, et pourtant l’auteur flétrit le massacre.