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Guy, prieur claustral de Clairvaux, a, comme Snorr, une vision. Ce que l’Esprit lui fait voir en l’an 1411, l’an où Balthazar Cossa, ancien pirate, élu pape sous le nom de Jean XXIII, convoqua le concile de Pise[1], c’est dans le passé Jésus refusant au Tentateur de l’adorer, puis fouettant au temple les vendeurs ; c’est dans le présent toute la chrétienté adorant le Démon et trafiquant des biens sacrés ; la simonie au siège de l’Église ; le scandale des trois papes ; Isabeau se prostituant sur la couche ornée de fleurs de lys ; la goinfrerie chez les moines sous la présidence de cet abbé : Satan. Et Guy appelle toute la chrétienté au concile qui rétablira la règle et l’unité.

Toujours soucieux de la couleur historique, le poète (sous l’influence de quels modèles ? je ne sais) a donné à la vision de Guy un caractère tout différent de celui qu’il avait donné à la vision de Snorr. Snorr, Islandais du XIIe siècle, transportait dans l’Enfer chrétien les supplices imaginés par la vieille mythologie scandinave. Guy, Français qui vit à l’aube du XVe siècle, a l’esprit plein d’une littérature où foisonnent les allégories :


Cet argent était chaud de vos larmes amères,
Pauvres enfants tout nus et lamentables mères !
Il se nommait Traîtrise et Spoliation..

L’Esprit m’a dit : Regarde ! Un vol d’oiseaux funèbres,
Silencieux, battait le flot lourd des ténèbres…

  1. Le poème inachevé, Cozza et Borgia, sera publié le 27 août 1876 dans la République des Lettres.