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ment au travers des brumes, baisant câlinement les yeux en pleurs des femmes, et s’enfuyant effrayé, se perdait dans le silence.

Et toujours les cloches appelaient les égarés ; elles appelaient comme des mères en détresse, de la voix profonde de l’inquiétude ; tout le rivage résonnait d’un sanglot de bronze comme si la terre entière eût douloureusement supplié l’océan d’être pitoyable.

Dans un silence mortel les femmes pénétrèrent dans la chapelle et, parmi la brume épaisse qui planait, s’agenouillèrent par deux, par trois, par quatre.

Sur un autel bas, sculptée en granit, dans l’or et le bleu de ses habits, la Sainte Vierge se dressait avec l’Enfant. À la lumière éparse des lampes, sa main tendue, sa figure pâle et ses yeux immobiles apparaissaient à peine.

Elles s’agenouillaient humblement et, s’inclinant jusqu’à terre murmuraient de ferventes prières. Une jeune fille saisit la corde qui pendait devant l’autel et se mit à sonner. Elle se penchait lentement, rythmiquement, les yeux fixés dans les yeux sacrés, immobiles ; elle sonnait l’alarme, elle faisait savoir aux égarés sur l’océan qu’ici on veillait, on s’effrayait, on pleurait.

Le murmure des prières tombait comme une pluie lourde et silencieuse ; par instants des soupirs, des sanglots étouffés s’élevaient ; parfois des mains se tendaient suppliantes et la cloche battait incessamment comme ces cœurs alarmés, et, dans l’espace embrumé, d’autres lui répondaient, lointaines ou proches, d’une même plainte alanguie, comme tous ces cœurs qui, là-bas, quelque part sur les rivages déserts, dans les misérables hameaux de pécheurs, sur les rochers solitaires, tremblaient d’une frayeur mortelle.

Les femmes avaient rampé jusque devant l’autel et de leurs âmes torturées s’échappa un chant suppliant, plein de larmes :

 
Ave, Ave, Ave Maria !
Les Saints et les Anges
En chœurs glorieux
Chantent vos louanges,
Ô reine des cieux !


À tirer la corde les femmes alternaient et la cloche ne se taisait pas un moment. Elle sanglotait, gémissait, suppliait dans sa douleur comme ces chants à la Sainte-Vierge.

 
Ave, Ave, Ave Maria !
Soyez le refuge
Des pauvres pécheurs.
Ô mère du Juge
Qui sonde les cœurs.