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des eaux en trombe vacillante, montaient de terre, emmêlés, et les inépuisables cratères du ciel soufflaient des colonnes de fumée pâle qui rampait lentement, jaillissait en fontaines, s’épandait de plus en plus largement et coulait sans trêve comme une mer écu mante de grisaille et de tristesse.

Les femmes se hélaient entre elles et, errant parmi les tourbillons, s’assemblaient sous la chapelle, se blottissaient contre les murs, s’asseyaient sur le seuil ; leurs aiguilles scintillaient toujours et elles regardaient le monde avec une inquiétude croissante.

Déjà le village était noyé dans la grisaille ; déjà les plus hauts faîtes des chênes se balançaient en ombres fugitives ; comme vus à travers l’eau, les menhirs veillant depuis des siècles sur les bords n’étaient que des silhouettes vagues, et l’océan glissait lentement dans les profondeurs troubles, brillant encore parfois sous les blancheurs comme un œil qui s’endort ; puis il retomba dans les tourbillons ; à la fin, tout fut gris et s’effondra en poussière dans les abîmes du néant.

Sous la chapelle, par moments, murmurait une voix effrayée, parfois un sabot frappait le sol, ou bien s’élevait la plainte douloureuse d’un sanglot. Puis venaient les longues, lourdes et douloureuses minutes de silence. Soudain, dans ce calme mortel, s’éleva un son perçant, une cloche sonna quelque part loin, loin...

— On sonne à Sainte-Anne ! dit une voix. Et tout de suite, comme venue des profondeurs des eaux, errante parmi les brumes, une autre cloche répondit doucement.

— C’est de Saint-Philibert de Tréguen qu’on sonne ! s’écria quelqu’un. Puis une troisième cloche résonna très haut près du ciel comme l’écho des chœurs des anges.

— C’est à Sainte-Joséphine qu’on sonne !

Puis une quatrième répondit, une cinquième et d’autres, plus loin, qu’on entendait à peine. À chaque instant s’ajoutait une voix nouvelle, aussitôt, d’un autre côté, s’élevait une chanson ; et parfois toutes les cloches frappaient à l’unisson, en un chœur de bronze immense sur l’univers, comme un cortège d’oiseaux sanglotants.

Soudain cet harmonieux accord se rompait et se dispersait ; il n’y avait alors que des voix solitaires, cris de frayeur, appels de noyés, pleurs d’enfants, perdus dans les abîmes gris.

Les brumes, comme déchirées par les voix inlassables des cloches, s’agitèrent violemment ; ce fut un fourmillement noir et dans l’espace les flots clapotèrent ; la respiration de l’océan, étouffée, lourde, s’exhala. Un vent chaud soufflait de la terre, pénétrait silencieuse-