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fuyaient de leurs nids rocheux, les arbres eurent des murmures de crainte.

Et du village de pêcheurs semé autour de la baie, des ruelles étroites, des maisonnettes en granit, des routes blanches bordées de chênes tordus s’élançaient des femmes vêtues de noir ; les sabots claquetaient sur le granit, les cornettes blanches tremblaient et les rubans flottaient derrière elles.

Elles allaient vite au bord de l’océan, par deux, par trois, par quatre, comme des lames courtes, écumeuses, avant la tempête ; elles s’arrêtaient immobiles parmi les rochers et leurs yeux inquiets erraient sur les eaux livides, leurs yeux, avec frayeur, fouillaient les ténèbres comme des oiseaux qui tenteraient vainement d’apercevoir la terre.

Pas une voile ne s’inclinait sur l’onde grise, pas une traînée de fumée ne se dessinait, pas un clapotis ne scintillait dans l’espace.

Et les sabots claquetaient sans cesse. Hors des ruelles étroites, des maisonnettes en granit, des routes blanches, les femmes s’élançaient ; elles allaient par deux, par trois, par quatre ; elles tricotaient des bas et s’avançaient fixant les lointains gris, elles allaient rapides ; les cornettes tremblaient et les rubans blancs flottaient derrière elles.

Elles grimpaient sur les pentes abruptes, sur les masses élevées de rochers jetés au loin dans la mer par la main des cyclopes, vers la chapelle svelte. poussée entre les hauts blocs de granit étages, et regardaient le désert de l’océan, écoutant le calme avec crainte.

Puis elles s’assirent en rang au bord du précipice comme des oiseaux de deuil à têtes blanches ; elles tricotaient des bas, les aiguilles scintillaient entre leurs mains et parfois un murmure s’échappait de leurs lèvres pâlies. Assises immobiles, elles fixaient les flots silencieux, opaques, et leurs âmes glissaient sur les profondeurs de l’horizon, planaient au-dessus des sombres gouffres déserts, fouillaient les eaux livides, appelant de leurs voix muettes et douloureuses.

Pas une voile n’émergeait des abîmes et le silence ne répondit par aucun clapotis de rames.

Vers les cœurs en détresse s’avançait lourdement l’Inconnu.

Alentour quelque chose d’inconcevable s’accomplissait.

C’était comme si soudain le ciel se fût effondré ; les corps gigantesques des nuages fondirent sur la terre et les eaux, en masses monstrueuses de brumes grises.

Un insondable tourbillon s’éleva, ouragan muet de poussière et, silencieusement, les brouillards couvrirent le monde. Ils s’élevaient