Page:Vers et Prose, tome 9, mars-avril-mai, 1907.djvu/63

Cette page a été validée par deux contributeurs.

homme n’a point une œuvre à faire ? — Car, s’il a du cœur, combien de fois ne s’abdiquera-t-il pas lui-même ? Pourtant, il lui faudrait s’appartenir, puisqu’il appartient à une force impérieuse.

S’appartenir : c’est à quoi la femme ne lui voit pas d’excuse. Il faut qu’on lui appartienne. On la dérobe, si on se dérobe.

Et vous ? disent-elles. — Nous, c’est nous ; et vous c’est vous.

Quand on s’est fait beaucoup souffrir l’un l’autre, il reste en chacun une lie de souffrance. Le moindre orage de paroles fouette cet impur dépôt et le fait remonter à la surface. Selon les cœurs, cette vie se dissout en tendresse arrière, pitié sanglante, brou de haine ou de dégoût.

Quand une femme se dit trop qu’elle aime, elle met autant d’amour à torturer un homme qu’à le servir : pour le soigner, elle voudrait qu’il fût malade. Vœu qui reste rarement sans effet. Une femme s’excuse ainsi du mal qu’elle fait, par l’amour qui le lui fait faire.

Rien n’est donc plus terrible dans une femme qu’un amour qui se complaît en lui-même, qui se vante de sa force et s’assure trop de n’avoir point d’égal. Un tel amour peut avoir les mêmes violences que la haine. Car, à la fin, un tel amour ne se croit jamais assez payé. En amour, qui comptera avec justice ? Mais c’est déjà être injuste que de compter.

Une femme éprise de son amour plus que de l’homme qui en est le triste objet est pareille à un malade qui cultive sa maladie. Il a beau la détester, il s’est mis en elle. L’envenimer, c’est y donner des soins.