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la Vénus des trottoirs, l’ivrogne au rire amer,
l’orphelin décharné et rachitique,
tous entassés et morfondus, près de la bouche noire
de l’égout… cependant que flamboient dans la brume
la lucarne du savant penché sur son creuset
et la fenêtre clignotante d’un poète qui rêve !

Aube livide de ces villes terribles !…
Aurore inattendue qui fais soudain chanter
tes fougueuses trompettes de cuivre étincelant
sur le silence opaque des toits accumulés
pour appeler tous les dormants à la bataille !
Oh la première flèche que le soleil décoche
contre la courbe éblouissante des sphères d’or
sur les coupoles encore noyées dans l’ombre !
Rayons, flèches lancées contre les cheminées
qui voudraient s’élever plus haut que les tourelles
et les blanches statues des arches triomphales !
Espoir, ange idéal, qui voles dans le ciel
sur l’éclat neuf et printanier de tes ailes naissantes
telles des fleurs nourries d’une rosée divine !…
Piétinement sonore des ouvriers en marche
vers le travail quotidien, vous évoquez l’énorme
fracas retentissant d’une armée qui s’ébranle !
Ô long bourdonnement que répand dans l’espace
le grand beffroi du dôme aux abat-sons noircis !
Aurore blonde, éblouissant réveil de l’Homme
élu pour le suprême Empire du Monde !…

GABRIELE D’ANNUNZIO
Traduction en vers libres de F.-Y. MARINETTI
(Extrait du « Laus Vitæ »).