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omne viro soli…

après, la bonne des Parangeoux vint prévenir son maître que madame se trouvait plus mal… Il n’eut pas le courage de rentrer dîner, à part, chez lui. Il y avait une sage-femme. Et puis…

— Un service d’ami… Allez-y donc, docteur.

Et pour se sentir moins seul, il offrit, alléguant qu’il avait perdu et fait perdre son partenaire, un souper à toute l’assistance, une soupe au fromage et à l’oignon, monstre — pour lui-même, glissa-t-il à l’hôtesse « sans oignon et sans fromage ».

Pour la première fois de sa vie, M. Parangeoux se grisa. Il ne sut jamais si c’était de bonheur, d’ahurissement, d’inquiétude ou du souper. Le souper fut copieux et correctement arrosé « à la hauteur » de la montagne, ainsi qu’il sied en ces pays perdus où la moitié masculine de la population n’a qu’un dieu, le ventre, à qui elle sacrifie dévotement et avec un art qui fait cette goinfrerie belle comme une force de la nature. M. Parangeoux l’admirait, cette force, d’autant plus qu’il en résidait moins en lui. Donc il fit peu de brèches aux victuailles et son verre fut peu de fois rempli. Il est constant d’ailleurs que la presque totalité du festin fut engloutie par le père Francisque et surtout le docteur, lequel n’avait point perdu le mot, jeté lors de sa sortie : « Soupe à l’oignon », impliquant bien d’autres gastronomies subséquentes. Il revint hâtivement de chez Mme Parangeoux, annonçant que « tout allait bien », et que « ce serait pour cette nuit, tard ». On pouvait aisément sous-entendre : après souper.

La soirée s’acheva donc, ou plutôt se prolongea, au premier étage du café, pompeusement dénommé « le Cercle », dans une partie de billard aux quilles. On prononce là-bas : « la qui-le », comme « tranquille » et « Gourgil-lon ». M. Parangeoux, la langue un peu sédentaire, mais, quant à ses jambes, marchant droit parce qu’il se tenait aux bandes de billard, perdit obstinément, ce dont il se consolait en se répétant à lui-même :

— Malheureux au jeu, heureux en… paternité !

M. Gourgillon lui fit, sans qu’il s’en aperçût, la plaisanterie délicate de lui glisser dans la poche de son veston — d’où jamais on ne pensa depuis à l’extraire, et y eût-on pensé, que ce n’eût plus été nécessaire — la tête d’une des « b’casses » dégustées au souper, et qu’il avait cueilli du fil de fer où elle demeurait depuis que s’en était détaché naturellement son cou mûr.

Le père Francisque constatait :

— Il est rrond… comme un pilon !

Faisant sonner l’r et ajoutant une rime pour sa jubilation personnelle.