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vers et prose

et la table ovale près de laquelle il était assis se garnissait à son pourtour des assidus, quotidiens, au provincial jeu du « cinq-cents ».

— Tournez les rois ! avait dit M. Némorin, le docteur.

— Le père Francisque n’est pas là, objecta quelqu’un.

M. Francisque Marvel, l’huissier, homme court et jovial, rentrait, se rajustant.

— J’étais sorti, messieurs, dit-il, pour cinq minutes de « répit…pi. »

À M. Parangeoux échut le roi de cœur, au père Francisque le roi de carreau. Ils étaient « ensemble ».

L’huissier s’assit de l’autre côté de la table, diagonalement à son partenaire — ce qu’on appelle jouer en « croisée » — et posa sa pipe sur la table. Le merisier, au contact du marbre, claqua, et demeura debout, sur sa base bifide, comme un oiseau de bois.

— Pleuvra demain, pleuvra demain, ma pipe ne tire pas.

Le notaire, M. Gourgillon, eut l’un des rois noirs ; M. Séveral, directeur de l’octroi, déclina l’autre. Joueur raffiné, il préférait observer à être actif, et ne donnait jamais de conseils, sinon après coup. Il céda sa place à M. Némorin.

Les autres, éliminés, reculèrent leurs sièges en un cercle elliptique.

Puis ce fut la litanie des phrases coutumières, berçant sans l’interrompre la méditation de M. Parangeoux :

— Dix de petits ! (Le sept d’atout.)

— On a quinze jours pour annoncer le dix d’en bas.

— Quarante de binage et vingt de misère. (La dame de pique et les quatre valets).

— Mettez vos cartes ensemble.

— Je me défausse.

— Je démarque.

— Soixante-six, septante. Septante et trente, cent.

— Un battant !

Le jeton rectangulaire suggérait cette métaphore empruntée aux « soyeux » lyonnais.

M. Parangeoux, distrait, commit l’une de ces fautes que ne pardonnent point les joueurs dont la vie est d’attendre le matin la partie et d’en rêver la nuit suivante. Heureusement il était « avec » le père Francisque, qui se contenta de dire familièrement, les gros mots, « Fanny » verbale, étant tolérés au Café et là seulement, sans souci des hiérarchies reprises sitôt dans la Grande-Rue, et l’énorme vocatif s’atténuant par son énormité même :