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LA NOUVELLE ÉQUIPE

L’écrivain libertaire s’arrêta.

— Oui, dit Jeanne, la lâcheté est générale.

— Voyez-vous, Madame Bournef, tant que l’homme ne sera pas sûr de lui-même, comment voulez-vous qu’il soit sûr des autres ? Cette lâcheté générale qui vous indigne, elle est faite de toutes les peurs et de toutes les capitulations. Allez, constatons humblement notre impuissance, et reconnaissons que nous nous sommes tous trompés. Les consciences n’étaient pas prêtes, et encore une fois c’est la bêtise humaine qui triomphe.

— Mais cette bêtise humaine, elle est exploitée.

— Oui ; en haut les criminels intelligents, en bas les brutes livrés à leurs instincts. Les seconds sont au service des premiers. Entre ces deux forces, nous autres n’avons qu’à nous taire ou nous faire écraser.

Mais Jeanne ne voulait pas que son compagnon eût aussi impitoyablement raison.

— Si Jaurès n’était pas mort, dit-elle…

Mathias l’interrompit :

— Madame Bournef ne formulez pas votre regret. Voyez-vous c’est peut-être cela qui est le plus terrible à penser : si Jaurès n’était pas mort, ne serait-il pas impuissant comme nous. Ce n’était qu’un homme.

— Mais quel homme.

— Je vous l’accorde, un homme d’une haute valeur, incarnant une grande idée. Mais ne sentez-vous pas que, depuis ce matin, l’idée est vaincue par la discipline ?

L’écrivain avait parlé d’une voix grave, presque basse. Jeanne, cette fois, ne répliqua plus. Elle avait envie de pleurer.

Tous quatre continuèrent leur route en silence.

— Vous voici arrivés, dit Mathias, comme les deux frères s’arrêtaient devant la porte d’un immeuble, je vais donc vous quitter.