Page:Vernet - La nouvelle équipe, 1930.pdf/374

Cette page a été validée par deux contributeurs.
368
LA NOUVELLE ÉQUIPE

souvenir très net des deux Allemands qui sont venus, le jour de la déclaration de guerre, nous affirmer la sincérité de leur foi humaine. Ces hommes-là n’étaient pas nos ennemis. Ce qui divise et sépare les individus, ce sont des croyances et des mots. L’idéologie nationale, la patrie devenue dieu, le dogme patriotique transformé en religion, ont divisé les hommes par la magie de leurs formules. Ces formules, entités mortes, ont écrasé l’individu, réalité vivante, sous le poids des croyances et des conventions résumées, pour chaque groupe humain, par cette entité suprême : la nation. L’homme s’est effacé devant le citoyen, et c’est pourquoi nous sommes tous partis, dans tous les pays ; c’est pourquoi nous ne pouvions pas ne pas partir. Une force, venue de nous pourtant, nous entraînait, une force que nous ne discutions pas, parce que nous l’avions reçue de notre éducation première. Tous les belligérants ont obéi au même dogme.

« Plus clairvoyante que moi, ta mère me disait en août de l’an dernier : « Vous obéissez à votre croyance. » Comme elle avait raison. Oui, nous obéissions à notre croyance, et c’est pourquoi notre liberté morale était vaincue.

« Cette croyance, Pierre, il faut qu’elle soit répudiée par les esprits. Ce dogme, il faut que les hommes que vous serez demain le rejettent. Et ce sont ceux qui, comme toi, auront les possibilités de comprendre et de juger, qui devront élever le flambeau de vérité sur les consciences. Ta mère disait aussi que les responsables sont toujours ceux qui savent. Et elle avait encore raison. La lumière vient d’en-haut. Peut-on reprocher aux êtres frustes, aux ignorants, aux faibles, d’obéir aux disciplines héréditaires, aux forces obscures qu’on a développées en eux ? Beaucoup de ceux-là ont souffert, dans leur humanité, de devoir prendre les armes. Mais il n’était pas en leur pouvoir de résister.