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LA NOUVELLE ÉQUIPE

pays maternel ; elle, femme déjà, malgré ses nattes de fillette, avec ses admirables yeux d’ambre clair, les yeux de l’aveugle, où la tendresse et la joie mettaient de la lumière.

Didier songeait. Il revoyait une grande salle au milieu de laquelle une table réunissait des convives ennemis, sous la bénédiction d’un ministre de paix. Il entendait les évangéliques paroles : « Nous sommes tous frères. » Il entendait la voix aimée de Frida disant le poème de Schiller : « Joie, divine étincelle… » Il voyait le bel enfant blond que la mère présentait comme une promesse de fraternité. Puis il voyait la scène de douleur où elle avait mis l’enfant sur ses bras, en disant : « il n’a plus de père », et puis revenaient les paroles inexorables : il y a trop de choses entre nous… Oh ! ces barrières, n’avait-il pas travaillé depuis lors à les faire disparaître ? Disparaîtraient-elles ? L’étreinte d’amour deviendrait-elle possible ?

L’heure avait tourné. Il embrassa les enfants, serra les mains d’Hélène et de Pierre, et quitta le wagon. Descendu sur le quai, il revint en face de la glace pour un ultime adieu. Les deux enfants avaient passé la tête par l’ouverture de la glace baissée. Ils riaient, heureux, leurs chevelures se mêlant dans le remous du rire. Le coup de sifflet déchira l’air, la lourde machine s’ébranla. À pleines mains, Liane et Rolf lui envoyaient des baisers.

Et pendant que l’image gracieuse fuyait, Didier entendait la voix de la morte :

« Nos enfants, oui, peut-être, parce qu’ils n’auront pas su… »

L’heure du pardon allait-elle enfin sonner ? La douleur allait-elle s’effacer devant l’amour ? L’humanité réconciliée pourrait-elle bientôt redire l’hymne du poète : « Joie, divine étincelle… »