— Eh bien, l’un de ses secrétaires épouse ma cousine, Suzanne Tissier, la fille de mon oncle, ce Gaston Tissier dont Pierre t’a conté l’histoire.
— Vraiment ?
— J’ai lu le billet des fiançailles avant mon départ, et le mariage a dû se faire ces jours-ci.
— Mes compliments à Mlle Suzanne. Mais, dis-moi, son père ne fabrique-t-il pas des munitions de guerre ?
— Je te crois. Il a énormément travaillé pour le Maroc.
— Comme ça se trouve. Alors, il va avoir pour gendre un secrétaire de Boncour ?
— Mais oui.
— Eh bien, il est très adroit, ton oncle. Il prend une assurance pour des commandes futures.
Les deux jeunes gens se turent un instant. Puis Jean reprit :
— Ce n’est pas cette nouvelle qui rassérène l’esprit de mon père. Quand je l’ai quitté, il était plus amer, plus misanthrope que jamais.
— C’est étrange qu’il n’ait pas pu dominer cela, lui qui avait traversé toute l’épreuve de la guerre.
— Il avait en son frère une confiance absolue. Cette trahison a blessé chez lui toutes les forces vives, le cœur et la conscience.
— Vous n’avez pas eu une jeunesse gaie, pauvres amis, fit Didier compatissant. Ta sœur ne semble pas, cependant, en avoir été atteinte ; elle possède une confiance, une fraîcheur d’âme qui réconfortent.
— Elle ressemble beaucoup à ma mère.
— Et toi ?
— Oh ! moi, je serais comme mon père si je ne me raisonnais pas et si je n’avais pas appris à me dominer. Mon père a été trop dur, trop cassant ; il a blessé chez moi la sensibilité, tant et tant de fois qu’il m’a fallu