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LA NOUVELLE ÉQUIPE

ter, parce que, plus encore qu’à l’appel aux armes, c’était à leur croyance que tous obéissaient.

La voix de Jeanne s’était mouillée. Elle se ressaisit et continua.

— Je vous ai dit : la mobilisation c’est l’arrêt de la pensée, c’est donc l’arrêt du raisonnement. Et la raison puisant ses meilleures racines dans la sensibilité, on peut dire également que la mobilisation c’est la mort du cœur. Ainsi toutes les nobles forces qui animent l’humanité : l’amour et la pensée, la lumière de l’esprit et du sentiment, disparaissent. Il ne reste plus que des hommes inertes, les uns brutes animées par la violence, les autres cerveaux cristallisés par le dogme, tous obéissant à la force aveugle du fanatisme. Voilà ce que je voulais vous dire. Toute la force est dans l’homme ; mais il faudrait qu’il connaisse sa force et qu’il en soit le maître.

Et puisqu’il est si difficile de réaliser cela, il faut aller au devant du mal. Pendant que les cerveaux sont lucides, travaillons à empêcher l’inévitable. Désarmons-nous à l’avance. N’attendons pas, la mobilisation ce sera toujours la guerre…

Jeanne se tut. Un sanglot s’était brisé dans sa gorge en disant ces derniers mots. L’agonie de Maurice était devant ses yeux.

Jacques Bourdeau l’avait écoutée debout. Toutes ses paroles entraient en lui comme des flèches douloureuses, et des larmes coulaient inconsciemment de ses yeux. La cicatrice de sa joue s’était creusée plus encore qu’à l’ordinaire.

Quand Jeanne eut fini, il étendit la main vers les assistants.

— Écoutez-là, dit-il, solennellement. Ce qu’elle vient de dire là, c’est vrai. Je suis un témoin, moi. Oui, nous n’étions plus des hommes libres, nous étions tous des lâches…