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LA NOUVELLE ÉQUIPE

L’autre, surpris, lui jeta un regard ébahi et s’éloigna.

Resté seul, pendant que le chargement s’éloignait, Didier était tombé dans une méditation profonde. La réponse qu’il avait faite était jaillie de ses lèvres sans préméditation de son cerveau. Elle lui était venue naturellement, sans effort, préparée secrètement par le lent travail de pensée qui depuis cinq mois s’opérait chez lui. Soudainement, ce travail lui apparut, et sa pensée en fut illuminée. Oui, ici ou là-bas, la terre c’était toujours la terre, la bonne terre des hommes, l’alma mater de l’humanité. Et tous les hommes avaient faim, et tout le blé de toute la terre était à tous les hommes.

Il tressaillit.

— Toute la terre à tous les hommes, murmura-t-il en se mettant en route vers la maison.

Maintenant, sa pensée avait pris la route illimitée de l’infini. Il voyait tout avec des yeux nouveaux. Jusqu’alors il avait haï la guerre de toute sa haine d’individu blessé dans son individualité et dans son intelligence. Il l’avait haïe égoïstement. Maintenant, sa haine se transformait, se faisait rayonnante et sacrée, dépassait sa personnalité. Il haïssait la guerre, à présent, pour le mal qu’elle faisait à l’humanité, à la pensée et à la liberté des hommes — de tous les hommes — ; il la haïssait parce qu’elle était l’ennemie de la vie, de la vie universelle dont il n’avait jamais autant compris qu’en ces quelques mois, le sens et la beauté. Cette vie universelle, elle enveloppait toutes choses comme lui-même d’un même courant circulaire, et la sève des moissons était de la même parenté que le sang de ses artères. C’était la sève et le sang de la terre généreuse et nourricière, suc de la vie dont tous les hommes étaient pareillement nourris. Pas un homme ne pouvait être étranger à un autre puisque la vie était une pour