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LA NOUVELLE ÉQUIPE

aimait fort être appelé par son titre. Il avait la manie des choses militaires, de la vie militaire, du langage militaire. Il était militaire dans l’âme. Quand sa femme venait passer quelque temps près de sa fille, c’était avec une véritable joie qu’il reprenait l’existence d’un officier célibataire. L’armée, pour lui, c’était le rang suprême dans l’État. Tout devait lui être subordonné.

Il avait certes aimé sa fille ; mais il ne s’était jamais consolé de n’avoir pas eu un fils pour continuer la lignée des Delmas en uniforme. Puis, Jeanne devenant jeune fille, il avait escompté la marier à quelque jeune capitaine ; et ç’avait été une nouvelle déception pour lui quand il avait vu sa fille répondre à l’affection de Maurice Bournef, jeune professeur d’histoire, plein d’avenir, mais de famille modeste, et dont les origines étaient très plébéiennes, paysannes même. D’abord, il s’était montré hostile à cette union, puis il y avait consenti devant la ferme attitude de sa fille, soutenue par sa mère dans cette lutte familiale.

Mme  Delmas, orpheline, avait épousé, à vingt ans, le lieutenant Delmas, promu capitaine deux ans après son mariage, au moment même de la naissance de Jeanne. C’était une créature douce et sensible, dont la jeunesse s’était surtout écoulée en pension. Le milieu militaire dans lequel elle s’était trouvée transplantée l’avait dépaysée, et elle ne s’y était jamais bien habituée. Néanmoins, comme elle s’était attachée à son mari, elle en avait pris son parti et ne s’était jamais plainte. Mais elle s’était réjouie du choix de sa fille, et la maison de son gendre lui était chère. D’ailleurs, Maurice était pour elle affectueux comme un fils, et quand il l’appelait « mère » un apaisement doux descendait en elle. Quelle femme n’a pas eu le désir d’entendre une voix d’homme lui donner ce nom.

— Vois-tu bien, maman, disait Jeanne, en caressant doucement la petite main du bébé attaché à son