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LA NOUVELLE ÉQUIPE

Partout des champs non encore cultivés et couverts de ferraille.

« Des paysans défrichent, labourent ; parfois le soc heurte un obus. Hier on a mis à jour un squelette d’Allemand enveloppé encore de son uniforme.

« Quelle tristesse que tout cela. Je ne puis vous dire toutes les pensées qui m’assaillent au milieu de ces témoignages de l’ignorance humaine. Le monde se guérira-t-il jamais de la haine ?… »

— Remarquez cette dernière phrase, fit observer Maurice. Ce n’est déjà plus la belle confiance de jadis. Il y a du doute et du désespoir dans cette phrase : « Le monde se guérira-t-il jamais de la haine ? »

— Le pauvre enfant, dit Jeanne. D’autres auraient douté et désespéré à moins.

— Oh ! je ne blâme point, mon amie. Ce jeune homme est une belle âme. Mais nous aurons, j’en suis sûr, à le remonter.

Cependant mars prit fin, sans amener d’autres nouvelles. De jour en jour on attendait l’arrivée du voyageur, mais une visiteuse inattendue arriva avant lui. Pierre tomba gravement malade dans les premiers jours d’avril. L’anxiété et l’attention de tous se reportèrent sur lui, et pendant un moment, Pagnanon fut non pas oublié, mais laissé au second plan.

Un matin pourtant, il se présenta. Ce fut Henriette qui le reçut. À son aspect elle poussa un cri de douleur. Maigre, le teint jaune, le visage envahi par une barbe sauvage, les vêtements sales et en désordre, le malheureux ressemblait à l’un de ces chemineux de grand chemin que les gens des campagnes voient passer avec défiance. L’expression sauvagement douloureuse du regard augmentait encore cette ressemblance.

Au cri de la jeune fille, il répondit par un sourire de mélancolie :

— Je vous fais peur, n’est-ce pas ? Excusez-moi