Page:Vernet - La nouvelle équipe, 1930.pdf/159

Cette page a été validée par deux contributeurs.
153
LA NOUVELLE ÉQUIPE

vêtements, mais elle était trop fière pour accepter de nous voir aller sales ou déchirés.

— Vous avez une bonne maman, Monsieur Pagnanon.

Le front du jeune homme s’assombrit.

— Bonne, oui Mademoiselle Henriette, et courageuse, et dévouée. Et pourtant, voyez-vous, aujourd’hui elle ne me comprend pas ; elle me considère comme un enfant dénaturé et ingrat.

Il soupira. Puis il reprit le récit de son enfance. L’instituteur de leur petit village s’était intéressé à lui. Le certificat d’études passé, il avait décidé la mère à le lui confier, et l’avait préparé au concours de l’École Normale de Grenoble. Mais, à mesure que les années s’écoulaient, il sentait l’éloignement de sa mère. Cependant elle avait conservé l’espoir de venir se fixer près de lui lorsqu’il serait nommé dans un petit poste de campagne. En ces derniers mois, il s’était décidé à lui dire quelques mots de l’orientation nouvelle de ses pensées ; il avait parlé de sa résolution de ne pas accepter l’obligation militaire. La mère alors s’était fâchée. Elle voyait là un témoignage d’ingratitude. Elle avait peiné, elle s’était sacrifiée. N’était-il pas juste que son fils le reconnaisse en lui accordant enfin un peu de repos et de bien-être ?

— C’est pour moi la pensée la plus pénible, conclut-il. J’aperçois combien nos devoirs s’entre-choquent et sont quelquefois contraires les uns aux autres. Assurer la vieillesse de ma mère serait mon devoir, évidemment ; mais l’autre devoir n’est-il pas aussi grand qui consiste à travailler pour la paix et la fraternité des hommes.

— Pauvre Monsieur Émile, dit doucement Henriette, je vous comprends bien, allez. Fille d’un père que la guerre tue un peu chaque jour, ayant journellement sous les yeux le spectacle des douleurs causées par la guerre, je ne puis qu’applaudir les tentatives généreuses