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LA NOUVELLE ÉQUIPE

trouver une parole, mais l’étreinte de sa main fut si éloquente que Julien Lenormand la comprit. Quant à Hélène, elle, elle ne pouvait détacher son regard de ce visage où toute lumière était éteinte à jamais.

C’était bien un déjeuner d’anciens combattants, en effet ; plus, même, un déjeuner de mutilés. Jean se sentait invinciblement attiré tantôt vers l’aveugle servi par Éliane, tantôt par Maurice, qu’on sentait si las dans son fauteuil où il s’efforçait, pourtant, de paraître à l’aise. Parfois, Jean rencontrait le visage de Jacques Bourdeau où la blessure de la face avait laissé un sillon sanglant qui coupait la joue d’une cicatrice s’allongeant de la lèvre supérieure jusqu’à l’oreille. Comme Pierre, il songeait aux ruines sans nombre semées par la guerre, et le spectacle qu’il avait sous les yeux renforçait en lui la promesse qu’il avait faite à son ami d’être un jour à ses côtés pour travailler à l’œuvre de Paix.

Quand le repas prit fin, Jeanne appela près d’elle les jeunes gens.

— Mes enfants, dit-elle, vous ferez un peu de musique, si vous voulez, ou vous irez faire une promenade jusqu’aux étangs. Mon mari va prendre un peu de repos dans sa chambre, et nous nous retrouverons au jardin à quatre heures.

— Si nous sortions, proposa Pierre, Henriette et Hélène achèveront de faire connaissance pendant la promenade, et nous causerons un peu avec Robert Bourdeau.

Sans tarder on mit à exécution la proposition de Pierre.

Comme ils allaient partir, l’attention de Jean fut attirée par le spectacle de l’aveugle jouant avec sa fille. La fillette se dérobait en riant, et le père la cherchait à tâtons. L’ayant enfin trouvée, il la serrait dans ses bras et baisait avec passion sa chevelure d’or sombre.