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LETTRE-PRÉFACE

humaine, quittaient les habituels vêtements qui étaient la marque de leur individualité pour prendre cet uniforme, qui dit assez bien, par son nom même, ce qu’il signifie : la disparition de l’individu dans la grande masse, inerte et sans pensée, qui n’a plus d’autre rôle à jouer que l’obéissance aveugle à la lourde discipline par qui l’esprit, depuis des millénaires, est bafoué.

Mais, avant de redevenir un numéro dans cette masse, quel drame s’est joué dans le cœur du futur combattant ? Quelles angoisses, quelles luttes, ont tourmenté ces consciences qui allaient abdiquer ?

On parle souvent de l’élan des mobilisés partant pour « la guerre du droit ». Cela fait bien en littérature. Mais la vérité c’est que personne ne songeait à s’analyser. On partait parce qu’il fallait partir, parce que c’était le devoir — ce devoir dont on avait reçu les premiers principes à l’aube même de la vie, sur les genoux maternels et les bancs de l’école, — on partait parce qu’il fallait se défendre, parce que ce jour là était prévu et d’avance accepté, et que, depuis qu’on avait terminé le service militaire, on savait bien qu’il faudrait partir quand sonneraient les tambours de la mobilisation. On partait bien aussi à regret, mais pouvait-on ne pas partir ? Cette supposition redoublait l’affolement des esprits. Et l’on est parti. Les jeunes chantaient, certes, et même aussi ceux qui laissaient derrière eux des devoirs sacrés. Mais quoi, puisqu’on partait, n’était-il pas mieux de s’en aller en braves, le front haut et le sourire aux lèvres ? N’était-on pas du pays de Cambronne ? et n’était-il pas crâne de lancer le mot de défi au destin, même quand on était désespéré.

Mais on n’était pas toujours dans les rues, ni sur les places publiques. Et j’ai vu, moi, des hommes de trente-cinq ans pleurer. Ce n’étaient pas des lâches. Ils ne pleuraient pas sur eux, ni même sur les leurs qu’ils laissaient dans l’angoisse et l’incertitude. Ils pleuraient sur la be-