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LA NOUVELLE ÉQUIPE

disait-elle, ne pouvant comprendre que les femmes eussent accepté cette rançon offerte à leur deuil.

— Je n’ai pas donné mon mari, avait-elle dit pour expliquer son refus, on me l’a pris, on me l’a arraché. En acceptant cette pension, il me semblerait donner mon consentement rétrospectif à son départ, et mon pardon à ses meurtriers.

Ce refus était cependant de sa part un geste héroïque, car elle n’était pas riche. Mais elle avait été institutrice avant son mariage. Elle redemanda un poste et l’obtint assez facilement. Sur sa demande elle fut nommée à Versailles, où Roger était boursier au Lycée. À cette heure, le jeune homme lui aussi préparait le concours de Normale, mais il se destinait aux sciences vers lesquelles il se sentait particulièrement attiré.

Quand elle était certaine de ne pas trouver le général, Louise venait passer le dimanche près de son beau-frère, qu’elle aimait profondément, et dont la présence lui était à la fois pénible et bonne. Roger et Pierre, presque du même âge, étaient liés par une bonne camaraderie, mais il n’y avait pas entre eux la sympathie affectueuse qui rapprochait Pierre de Jean Tissier. Leurs aspirations intellectuelles étaient différentes. Ils se rencontraient cependant dans la pensée qui grandissait en eux d’être un jour des travailleurs de paix.

— Je vengerai mon père, disait quelquefois Roger à sa mère, mais sois tranquille, maman, je le vengerai de la seule façon qui soit digne de lui.

Dans cette villa de Ville-d’Avray, on pouvait encore quelquefois trouver Jacques Bourdeau que la guerre avait frappé, lui aussi, mais d’une autre manière. Sa femme était morte, au début de 1918, épuisée par un surmenage trop prolongé. Malgré son travail et ses qualités d’ordre, les petites économies du ménage avaient fondu. En 1916, elle avait envoyé ses deux plus jeunes enfants, avec sa mère, chez le cousin de la