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LA NOUVELLE ÉQUIPE

la vie par la présence de sa femme, qui était près de lui comme l’ange de la douleur et de l’amour ; rattaché aussi par une petite créature de douceur, née quelques mois après son départ, et à laquelle il avait donné le nom d’Éliane-Renée, dans son désir de la voir ressembler à sa mère. La dernière fois qu’il l’avait vue, la petite fille avait deux ans et demi et rappelait déjà beaucoup le visage maternel.

— Elle te ressemble, n’est-ce pas ? disait-il à Éliane, chaque fois qu’il caressait la fillette.

— Oui, mon ami, répondait invariablement la jeune femme.

C’était vrai. Mais la petite fille avait cependant pris à son père l’inestimable trésor qu’il avait perdu. Elle avait ses yeux, ses beaux yeux d’ambre, lumineux et caressants, ses yeux de passion pour toujours éteints. Lorsqu’il arrivait à Éliane de le dire à son mari, l’artiste tombait dans une rêverie pénible, si bien que la jeune femme n’osait jamais parler de cette ressemblance qui était cependant pour elle comme un rayon dans la brume sans fin de sa vie.

Depuis la fin de la guerre, le ménage du peintre aveugle s’était fixé près des Bournef. C’était Jeanne qui en avait eu la pensée. La solitude d’Éliane, aux prises avec toutes les difficultés matérielles, lui était apparue effrayante, et elle avait proposé à son mari cette cohabitation. La villa de Ville-d’Avray la permettait sans gêner personne, une grande chambre étant inoccupée qui pouvait être mise à la disposition d’Éliane et de Julien. Comme on le pense, Maurice n’avait pu qu’approuver l’offre généreuse de sa femme, que les deux intéressés avaient acceptée avec empressement. Pendant les mois d’été, ils allaient cependant passer quelque temps à Triel, près du vieux Bournef, que la guerre avait horriblement vieilli. Sa femme était morte en 1915, peu de temps après avoir appris la mort de