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LA NOUVELLE ÉQUIPE

que retarder l’heure fatale, mais obstinée à prolonger une vie qui lui était aussi précieuse que la sienne.

Maurice n’avait pas pu reprendre ses cours. Pour remédier aux difficultés matérielles, Jeanne donnait des leçons de langue et de littérature. Elle avait certes une petite fortune personnelle, étant fille unique, et, de plus, sa mère lui apportait une aide discrète et appréciable. Mais là aussi, comme chez les Tissier, il y avait l’existence de quatre personnes à assurer ; et l’état de Maurice réclamait souvent des soins coûteux. D’autre part, elle n’avait pas voulu que les deux enfants fussent privés de la culture intellectuelle que jadis ils avaient désirée pour eux. Elle n’avait pas voulu qu’ils fussent gênés, dans leurs études, par des soucis matériels, par le sentiment d’imposer aux leurs des sacrifices trop pénibles. Elle avait donc songé à tirer parti des études qu’elle avait faites dans sa jeunesse, et elle avait facilement trouvé des élèves parmi leurs relations et les collègues de Maurice. Grâce à cet appoint supplémentaire, on avait toujours vécu dans l’aisance, et les deux jeunes gens n’avaient jamais soupçonné l’existence, près d’eux, de difficultés budgétaires. Henriette, à cette heure, préparait le dernier certificat d’une licence de lettres. Pierre, nous l’avons dit, préparait le concours de Normale Supérieure, suprême espoir de Maurice, dont l’unique désir était de ne pas partir sans avoir vu le succès de son fils. Une année encore à attendre. Vivrait-il jusque-là ?

Près de cette famille si douloureusement atteinte, nous retrouvons en ce printemps de 1923, le ménage du peintre Julien Lenormand. Lui aussi payait son rude tribut à la guerre : Julien Lenormand était aveugle. Ironie tragique et cruellement amère, le peintre de la lumière était pour toujours dans la nuit. Il avait connu des heures de désespoir atroce, il avait appelé la mort comme une délivrance. Il vivait pourtant, rattaché à