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LES ANGLAIS AU POLE NORD

D’ailleurs, Garry n’était plus reconnaissable ; il avait abattu les larges favoris qui encadraient son visage, et sa figure ressortait plus impassible encore, plus énergique, plus impérieuse ; revêtu des habits de son rang déposés dans sa cabine, il apparaissait avec les insignes du commandement.

Aussi, avec cette mobilité naturelle, l’équipage du Forward, emporté malgré lui-même, s’écria d’une seule voix :

« Hurrah ! hurrah ! hurrah pour le capitaine !

— Shandon, dit celui-ci à son second, faites ranger l’équipage ; je vais le passer en revue. »

Shandon obéit, et donna ses ordres d’une voix altérée. Le capitaine s’avança au-devant de ses officiers et de ses matelots, disant à chacun ce qu’il convenait de lui dire et le traitant selon sa conduite passée.

Quand il eut fini son inspection, il remonta sur la dunette, et d’une voix calme, il prononça les paroles suivantes :

« Officiers et matelots, je suis un Anglais, comme vous, et ma devise est celle de l’amiral Nelson :

« L’Angleterre attend que chacun fasse son devoir[1].

« Comme Anglais, je ne veux pas, nous ne voulons pas que de plus hardis aillent là où nous n’aurions pas été. Comme Anglais, je ne souffrirai pas, nous ne souffrirons pas que d’autres aient la gloire de s’élever plus au nord. Si jamais pied humain doit fouler la terre du pôle, il faut que ce soit le pied d’un Anglais ! Voici le pavillon de notre pays. J’ai armé ce navire, j’ai consacré ma fortune à cette entreprise, j’y consacrerai ma vie et la vôtre, mais ce pavillon flottera sur le pôle boréal du monde. Ayez confiance. Une somme de mille livres sterling[2] vous sera acquise par chaque degré que nous gagnerons dans le nord à partir de ce jour. Or, nous sommes par le soixante-douzième, et il y en a quatre-vingt-dix. Comptez. Mon nom d’ailleurs vous répondra de moi. Il signifie énergie et patriotisme. Je suis le capitaine Hatteras !

— Le capitaine Hatteras ! » s’écria Shandon.

Et ce nom, bien connu du marin anglais, courut sourdement parmi l’équipage.

« Maintenant, reprit Hatteras, que le brick soit ancré sur les glaçons, que les fourneaux s’éteignent et que chacun retourne à ses travaux habituels. Shandon, j’ai à vous entretenir des affaires du bord. Vous me rejoindrez dans ma cabine, avec le docteur, Wall et le maître d’équipage. Johnson, faites rompre les rangs. »

  1. « England expects every man to do his duty. »
  2. 25,000 francs.