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AVENTURES DU CAPITAINE HATTERAS

eux depuis le départ du navire ? Ce n’est pas possible, vous dis-je ! Depuis plus de deux ans, il n’en est pas un que je n’aie vu cent fois à Liverpool ; votre supposition, docteur, est inadmissible !

— Alors, qu’admettez-vous, Shandon ?

— Tout, excepté cela. J’admets que ce capitaine, ou un homme à lui, que sais-je ? a pu profiter de l’obscurité, du brouillard, de tout ce que vous voudrez, pour se glisser à bord ; nous ne sommes pas éloignés de la terre ; il y a des kaïaks d’Esquimaux qui passent inaperçus entre les glaçons ; on peut donc être venu jusqu’au navire, avoir remis cette lettre… le brouillard a été assez intense pour favoriser ce plan…

— Et pour empêcher de voir le brick, répondit le docteur ; si nous n’avons pas vu, nous, un intrus se glisser à bord, comment, lui, aurait-il pu découvrir le Forward au milieu du brouillard ?

— C’est évident, fit Johnson.

— J’en reviens donc à mon hypothèse, dit le docteur. Qu’en pensez-vous, Shandon ?

— Tout ce que vous voudrez, répondit Shandon avec feu, excepté la supposition que cet homme soit à mon bord.

— Peut-être, ajouta Wall, se trouve-t-il dans l’équipage un homme à lui, qui a reçu ses instructions.

— Peut-être, fit le docteur.

— Mais qui ? demanda Shandon. Je connais tous mes hommes, vous dis-je, et depuis longtemps.

— En tout cas, reprit Johnson, si ce capitaine se présente, homme ou diable, on le recevra ; mais il y a un autre enseignement, ou plutôt un autre renseignement à tirer de cette lettre ?

— Et lequel ? demanda Shandon.

— C’est que nous devons nous diriger non-seulement vers la baie Melville, mais encore dans le détroit de Smith.

— Vous avez raison, répondit le docteur.

— Le détroit de Smith, répliqua machinalement Richard Shandon.

— Il est donc évident, reprit Johnson, que la destination du Forward n’est pas de rechercher le passage du nord-ouest, puisque nous laisserons sur notre gauche la seule entrée qui y conduise, c’est-à-dire le détroit de Lancastre. Voilà qui nous présage une navigation difficile dans des mers inconnues.

— Oui, le détroit de Smith, répondit Shandon, c’est la route que l’Américain Kane a suivie en 1853, et au prix de quels dangers ! Longtemps on l’a cru