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LES ANGLAIS AU POLE NORD

mène, et ils reconnurent à sa blancheur que ce blink devait venir d’un vaste champ de glace situé à une trentaine de milles au-delà de la portée de la vue, et provenait de la réflexion des rayons lumineux.

Vers le soir, le vent retomba dans le sud, et devint favorable ; Shandon put établir une bonne voilure, et, par mesure d’économie, il éteignit ses fourneaux. Le Forward, sous ses huniers, son foc et sa misaine, se dirigea vers le cap Farewell.

Le 18, à trois heures, un ice-stream fut reconnu, à une ligne blanche peu épaisse, mais de couleur éclatante, qui tranchait vivement entre les lignes de la mer et du ciel. Il dérivait évidemment de la côte est du Groënland plutôt que du détroit de Davis, car les glaces se tiennent de préférence sur le bord occidental de la mer de Baffin. Une heure après, le Forward passait au milieu des pièces isolées de l’ice-stream, et, dans la partie la plus compacte, les glaces, quoique soudées entre elles, obéissaient au mouvement de la houle.

Le lendemain, au point du jour, la vigie signala un navire : c’était le Valkirien, corvette danoise qui courait à contre-bord du Forward et se dirigeait vers le banc de Terre-Neuve. Le courant du détroit se faisait sentir, et Shandon dut forcer de voile pour le remonter.

En ce moment, le commandant, le docteur, James Wall et Johnson se trouvaient réunis sur la dunette, examinant la direction et la force de ce courant. Le docteur demanda s’il était avéré que ce courant existât uniformément dans la mer de Baffin.

« Sans doute, répondit Shandon, et les bâtiments à voile ont beaucoup de peine à le refouler.

— D’autant plus, ajouta James Wall, qu’on le rencontre aussi bien sur la côte orientale de l’Amérique que sur la côte occidentale du Groënland.

— Eh bien ! fit le docteur, voilà qui donne singulièrement raison aux chercheurs du passage du nord-ouest ! Ce courant marche avec une vitesse de cinq milles à l’heure environ, et il est difficile de supposer qu’il prenne naissance au fond d’un golfe.

— Ceci est d’autant mieux raisonné, docteur, reprit Shandon, que si ce courant va du nord au sud, on trouve dans le détroit de Behring un courant contraire qui coule du sud au nord, et doit être l’origine de celui-ci.

— D’après cela, messieurs, dit le docteur, il faut admettre que l’Amérique est complètement détachée des terres polaires, et que les eaux du Pacifique se rendent, en contournant ses côtes, jusque dans l’Atlantique. D’ailleurs, la plus grande élévation des eaux du premier donne encore raison à leur écoulement vers les mers d’Europe.