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AVENTURES DU CAPITAINE HATTERAS

avez passé entre deux grandes îles de glaces flottantes, par le quarante-deuxième degré de latitude.

— Ah ! c’est trop fort ! s’écria Shandon.

— Mais c’est vrai ; je n’ai donc pas lieu de m’étonner, puisque nous sommes deux degrés plus au nord, de rencontrer une montagne flottante par le travers du Forward.

— Vous êtes un puits, docteur, répondit le commandant, et avec vous il n’y a qu’à tirer le seau.

— Bon ! je tarirai plus vite que vous ne pensez ; et maintenant, si nous pouvons observer de près ce curieux phénomène, Shandon, je serai le plus heureux des docteurs.

— Justement. Johnson, fit Shandon en appelant son maître d’équipage, la brise, il me semble, a une tendance à fraîchir.

— Oui, commandant, répondit Johnson ; nous gagnons peu, et les courants du détroit de Davis vont bientôt se faire sentir.

— Vous avez raison, Johnson, et si nous voulons être le 20 avril en vue du cap Farewell, il faut marcher à la vapeur, ou bien nous serons jetés sur les côtes du Labrador. Monsieur Wall, veuillez donner l’ordre d’allumer les fourneaux. »

Les ordres du commandant furent exécutés ; une heure après, la vapeur avait acquis une pression suffisante ; les voiles furent serrées, et l’hélice, tordant les flots sous ses branches, poussa violemment le Forward contre le vent du nord-ouest.


CHAPITRE VI. — LE GRAND COURANT POLAIRE.

Bientôt les bandes d’oiseaux de plus en plus nombreuses, des pétrels, des puffins, des contre-maîtres, habitants de ces parages désolés, signalèrent l’approche du Groënland. Le Forward gagnait rapidement dans le nord, en laissant sous le vent une longue traînée de fumée noire.

Le mardi 17 avril, vers les onze heures du matin, l’ice-master signala la première vue du blink de la glace[1]. Il se trouvait à vingt milles au moins dans le nord-nord-ouest. Cette bande d’un blanc éblouissant éclairait vivement, malgré la présence de nuages assez épais, toute la partie de l’atmosphère voisine de l’horizon. Les gens d’expérience du bord ne purent se méprendre sur ce phéno-

  1. Couleur particulière et brillante que prend l’atmosphère au-dessus d’une grande étendue de glace.