Page:Verne - Voyages et aventures du capitaine Hatteras.djvu/449

Cette page a été validée par deux contributeurs.
439
LE DÉSERT DE GLACE

ont là une tendance à s’écarter de la terre ; ils y sont donc moins pesants.

— Comment ! dit Johnson, sérieusement, nous n’avons donc pas le même poids en tous lieux ?

— Non, Johnson ; suivant la loi de Newton, les corps s’attirent en raison directe des masses, et en raison inverse du carré des distances. Ici, je pèse plus parce que je suis plus près du centre d’attraction, et, sur une autre planète, je pèserais plus ou moins, suivant la masse de la planète.

— Quoi ! fit Bell, dans la lune ?…

— Dans la lune, mon poids, qui est de deux cents livres à Liverpool, ne serait plus que de trente-deux.

— Et dans le soleil ?

— Oh ! dans le soleil, je pèserais plus de cinq mille livres !

— Grand Dieu ! fit Bell, il faudrait un cric alors pour soulever vos jambes ?

— Probablement ! répondit le docteur, en riant de l’ébahissement de Bell ; mais ici la différence n’est pas sensible, et, en déployant un effort égal des muscles du jarret, Bell sautera aussi haut que sur les quais de la Mersey.

— Oui ! mais dans le soleil ? répétait Bell, qui n’en revenait pas.

— Mon ami, lui répondit le docteur, la conséquence de tout ceci est que nous sommes bien où nous sommes, et qu’il est inutile de courir ailleurs.

— Vous disiez tout à l’heure, reprit Altamont, que ce serait peut-être le cas de tenter une excursion au centre de la terre ! Est-ce qu’on a jamais pensé à entreprendre un pareil voyage ?

— Oui, et cela termine ce que j’ai à vous dire relativement au pôle. Il n’y a pas de point du monde qui ait donné lieu à plus d’hypothèses et de chimères. Les anciens, fort ignorants en cosmographie, y plaçaient le jardin des Hespérides. Au moyen âge, on supposa que la terre était supportée par des tourillons placés aux pôles, sur lesquels elle tournait ; mais, quand on vit les comètes se mouvoir librement dans les régions circumpolaires, il fallut renoncer à ce genre de support. Plus tard, il se rencontra un astronome français, Bailly, qui soutint que le peuple policé et perdu dont parle Platon, les Atlantides, vivait ici même. Enfin, de nos jours, on a prétendu qu’il existait aux pôles une immense ouverture, d’où se dégageait la lumière des aurores boréales, et par laquelle on pourrait pénétrer dans l’intérieur du globe ; puis, dans la sphère creuse, on imagina l’existence de deux planètes, Pluton et Proserpine, et un air lumineux par suite de la forte pression qu’il éprouvait.

— On a dit tout cela ? demanda Altamont.

— Et on l’a écrit, et très-sérieusement. Le capitaine Synness, un de nos com-