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LE DÉSERT DE GLACE

bardée, le repoussait et le courbait malgré lui. Johnson et Bell s’occupaient sans relâche à vider l’eau embarquée dans les plongeons de la chaloupe.

« Voilà une tempête sur laquelle nous ne comptions guère, dit Altamont en se cramponnant à son banc.

— Il faut s’attendre à tout ici, » répondit le docteur.

Ces paroles s’échangeaient au milieu des sifflements de l’air et du fracas des flots, que la violence du vent réduisait à une impalpable poussière liquide ; il devenait presque impossible de s’entendre.

Le nord était difficile à tenir ; les embruns épais ne laissaient pas entrevoir la mer au-delà de quelques toises ; tout point de repère avait disparu.

Cette tempête subite, au moment où le but allait être atteint, semblait renfermer de sévères avertissements ; elle apparaissait à des esprits surexcités comme une défense d’aller plus loin. La nature voulait-elle donc interdire l’accès du pôle ? Ce point du globe était-il entouré d’une fortification d’ouragans et d’orages qui ne permettait pas d’en approcher ?

Cependant, à voir la figure énergique de ces hommes, on eût compris qu’ils ne céderaient ni au vent ni aux flots, et qu’ils iraient jusqu’au bout.

Ils luttèrent ainsi pendant toute la journée, bravant la mort à chaque instant, ne gagnant rien dans le nord, mais ne perdant pas, trempés sous une pluie tiède, et mouillés par les paquets de mer que la tempête leur jetait au visage ; aux sifflements de l’air se mêlaient parfois de sinistres cris d’oiseaux.

Mais au milieu même d’une recrudescence du courroux des flots, vers six heures du soir, il se fit une accalmie subite. Le vent se tut miraculeusement. La mer se montra calme et unie, comme si la houle ne l’eût pas soulevée pendant douze heures. L’ouragan semblait avoir respecté cette partie de l’Océan polaire.

Que se passait-il donc ? Un phénomène extraordinaire, inexplicable, et dont le capitaine Sabine fut témoin pendant ses voyages aux mers groënlandaises.

Le brouillard, sans se lever, s’était fait étrangement lumineux.

La chaloupe naviguait dans une zone de lumière électrique, un immense feu Saint-Elme resplendissant, mais sans chaleur. Le mât, la voile, les agrès se dessinaient en noir sur le fond phosphorescent du ciel avec une incomparable netteté ; les navigateurs demeuraient plongés dans un bain de rayons transparents, et leurs figures se coloraient de reflets enflammés.

L’accalmie soudaine de cette portion de l’Océan provenait sans doute du mouvement ascendant des colonnes d’air, tandis que la tempête, appartenant au