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LE DÉSERT DE GLACE

légions de ces oiseaux dont la nomenclature ne parut jamais dans l’« Index Ornithologus » de Londres.

Le docteur était abasourdi, et, en somme, stupéfait de trouver sa science en défaut.

Puis, lorsque son regard, quittant les merveilles du ciel, glissait à la surface de cet océan paisible, il rencontrait des productions non moins étonnantes du règne animal, et, entre autres, des méduses dont la largeur atteignait jusqu’à trente pieds ; elles servaient à la nourriture générale de la gent aérienne, et flottaient comme de véritables îlots au milieu d’algues et de varechs gigantesques. Quel sujet d’étonnement ! Quelle différence avec ces autres méduses microscopiques observées par Scoresby dans les mers du Groënland, et dont ce navigateur évalua le nombre à vingt-trois trilliards huit cent quatre-vingt-huit billiards de milliards dans un espace de deux milles carrés[1] !

Enfin, lorsqu’au delà de la superficie liquide le regard plongeait dans les eaux transparentes, le spectacle n’était pas moins surnaturel de cet élément sillonné par des milliers de poissons de toutes les espèces ; tantôt ces animaux s’enfonçaient rapidement au plus profond de la masse liquide, et l’œil les voyait diminuer peu à peu, décroître, s’effacer à la façon des spectres fantasmagoriques ; tantôt, quittant les profondeurs de l’Océan, ils remontaient en grandissant à la surface des flots. Les monstres marins ne paraissaient aucunement effrayés de la présence de la chaloupe ; ils la caressaient au passage de leurs nageoires énormes ; là où des baleiniers de profession se fussent à bon droit épouvantés, les navigateurs n’avaient pas même la conscience d’un danger couru, et cependant quelques-uns de ces habitants de la mer atteignaient à de formidables proportions.

Les jeunes veaux marins se jouaient entre eux ; le narwal, fantastique comme la licorne, armé de sa défense longue, étroite et conique, outil merveilleux qui lui sert à scier les champs de glace, poursuivait les cétacés plus craintifs ; des baleines innombrables, chassant par leurs évents des colonnes d’eau et de mucilage, remplissaient l’air d’un sifflement particulier ; le nord-caper à la queue déliée, aux larges nageoires caudales, fendait la vague avec une incommensurable vitesse, se nourrissant dans sa course d’animaux rapides comme lui, de gades ou de scombres, tandis que la baleine blanche, plus paresseuse, engloutissait paisiblement des mollusques tranquilles et indolents comme elle.

  1. Ce nombre échappant à toute appréciation de l’esprit, le baleinier anglais, afin de le rendre plus compréhensible, disait qu’à le compter quatre-vingt mille individus auraient été occupés jour et nuit depuis la création du monde.