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AVENTURES DU CAPITAINE HATTERAS

— Les souliers de Bell, de Bell lui-même, qui, après avoir cassé ses snow-shoes, a marché toute une journée dans la neige.

— C’est parfaitement vrai, » dit Bell.

Et l’erreur fut si évidente que chacun partit d’un éclat de rire, sauf Hatteras, qui n’était cependant pas le moins heureux de cette découverte.

« Avons-nous été assez ridicules ! reprit le docteur, quand l’hilarité fut calmée. Les bonnes suppositions que nous avons faites ! Des étrangers sur cette côte ! allons donc ! Décidément, il faut réfléchir ici avant de parler. Enfin, puisque nous voilà tirés d’inquiétude à cet égard, il ne nous reste plus qu’à partir.

— En route ! » dit Hatteras.

Un quart d’heure après, chacun avait pris place à bord de la chaloupe, qui, sa misaine déployée et son foc hissé, déborda rapidement d’Altamont-Harbour.

Cette traversée maritime commençait le mercredi 10 juillet ; les navigateurs se trouvaient à une distance très-rapprochée du pôle, exactement cent soixante-quinze milles[1] ; pour peu qu’une terre fût située à ce point du globe, la navigation par mer devait être très-courte.

Le vent était faible, mais favorable. Le thermomètre marquait cinquante degrés au-dessus de zéro (+10° centig.) ; il faisait réellement chaud.

La chaloupe n’avait pas souffert du voyage sur le traîneau ; elle était en parfait état, et se manœuvrait facilement. Johnson tenait la barre ; le docteur, Bell et l’Américain s’étaient accotés de leur mieux parmi les effets de voyage, disposés partie sur le pont, partie au-dessous.

Hatteras, placé à l’avant, fixait du regard ce point mystérieux vers lequel il se sentait attiré avec une insurmontable puissance, comme l’aiguille aimantée au pôle magnétique. Si quelque rivage se présentait, il voulait être le premier à le reconnaître. Cet honneur lui appartenait réellement.

Il remarquait d’ailleurs que la surface de l’Océan polaire était faite de lames courtes, telles que les mers encaissées en produisent. Il voyait là l’indice d’une terre prochaine, et le docteur partageait son opinion à cet égard.

Il est facile de comprendre pourquoi Hatteras désirait si vivement rencontrer un continent au pôle nord. Quel désappointement il eût éprouvé à voir la mer incertaine, insaisissable, s’étendre là où une portion de terre, si petite qu’elle fût, était nécessaire à ses projets ! En effet, comment nommer d’un nom spécial

  1. 70 lieues 1/3.