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AVENTURES DU CAPITAINE HATTERAS

de saumure et de lime-juice, cinq quarters[1] de farine, des paquets de cresson et de cochléaria, fournis par les plantations du docteur ; en y ajoutant deux cents livres de poudre, les instruments, les armes et les menus bagages, en y comprenant la chaloupe, l’halket-boat et le poids du traîneau, c’était une charge de près de quinze cents livres à traîner, et fort pesante pour quatre chiens ; d’autant plus que, contrairement à l’habitude des Esquimaux, qui ne les font pas travailler plus de quatre jours de suite, ceux-ci, n’ayant pas de remplaçants, devaient tirer tous les jours ; mais les voyageurs se promettaient de les aider au besoin, et ils ne comptaient marcher qu’à petites journées ; la distance de la baie Victoria au pôle était de trois cent cinquante-cinq milles au plus[2], et, à douze milles[3] par jour, il fallait un mois pour la franchir ; d’ailleurs, lorsque la terre viendrait à manquer, la chaloupe permettrait d’achever le voyage sans fatigues, ni pour les chiens, ni pour les hommes.

Ceux-ci se portaient bien ; la santé générale était excellente ; l’hiver, quoique rude, se terminait dans de suffisantes conditions de bien-être ; chacun, après avoir écouté les avis du docteur, échappa aux maladies inhérentes à ces durs climats. En somme, on avait un peu maigri, ce qui ne laissait pas d’enchanter le digne Clawbonny ; mais on s’était fait le corps et l’âme à cette âpre existence, et maintenant ces hommes acclimatés pouvaient affronter les plus brutales épreuves de la fatigue et du froid sans y succomber.

Et puis enfin, ils allaient marcher au but du voyage, à ce pôle inaccessible, après quoi il ne serait plus question que du retour. La sympathie qui réunissait maintenant les cinq membres de l’expédition devait les aider à réussir dans leur audacieux voyage, et pas un d’eux ne doutait du succès de l’entreprise.

En prévision d’une expédition lointaine, le docteur avait engagé ses compagnons à s’y préparer longtemps d’avance et à « s’entraîner » avec le plus grand soin.

« Mes amis, leur disait-il, je ne vous demande pas d’imiter les coureurs anglais, qui diminuent de dix-huit livres après deux jours d’entraînement, et de vingt-cinq après cinq jours ; mais enfin il faut faire quelque chose afin de se placer dans les meilleures conditions possibles pour accomplir un long voyage. Or, le premier principe de l’entraînement est de supprimer la graisse chez le coureur comme chez le jockey, et cela, au moyen de purgatifs, de transpirations et d’exercices violents ; ces gentlemen savent qu’ils perdront tant par médecine, et ils arrivent à des résultats d’une justesse incroyable ; aussi, tel qui avant l’en-

  1. 380 livres.
  2. 150 lieues.
  3. 5 lieues.